Mathieu Bodmer : “J’aimerais retrouver un club, en tant que directeur sportif”

Après une belle carrière en Ligue 1, Mathieu Bodmer s’est reconverti avec succès en tant que consultant pour Prime Video. Son nouveau métier, son envie de devenir directeur sportif et son regard sur le foot français : l’ancien lillois nous dit tout.

Après une belle carrière en Ligue 1, tu es désormais consultant pour Prime Video tous les week-ends, qu’est-ce que ça fait de passer d’acteur à commentateur ?

C’est la continuité. J’ai mis fin à ma carrière avec le Covid, l’âge, la fin de contrat. C’est un choix de vie, pour mes enfants. J’ai enchaîné directement, d’abord sur Téléfoot et après chez Prime Video, qui a repris les droits cette saison. Cela me permet de voyager tous les week-ends comme quand j’étais joueur, de voir des matchs de foot, de voir des stades et de retrouver des amis de différents clubs. Je prends beaucoup de plaisir.

 

Cela t’aide de connaître autant de monde ?

Pas spécialement. Je ne demande pas d’info, je n’appelle pas pour savoir qui va jouer par exemple. Ce n’est pas mon rôle. Je suis là pour analyser le match et faire passer un bon moment aux gens. Le plus important pour moi, c’est de regarder un maximum de matchs, pour être le plus pertinent possible.

 

Où situerais-tu le championnat de France parmi tous les championnats européens ?

Je regarde la Premier League, la Bundesliga, la Liga, la Serie A, un peu le Portugal, un peu la Suisse, un peu l’Argentine. Comme je dis depuis très longtemps, la Ligue 1 c’est un championnat qu’on ne met pas assez en valeur. C’est un championnat de très haut niveau. Bien sûr la Premier League reste devant au niveau médiatique, des stars, de l’ambiance des stades. Je ne suis pas sûr qu’actuellement la Ligue 1 soit derrière la Liga ou la Serie A.

Nos performances en Coupe d’Europe sont un bon révélateur. Pendant longtemps, on s’est plaint de nos résultats mais cette année ils sont plutôt bons. Personnellement, je prends plus de plaisir à regarder un PSG – Rennes ou un Lens – Montpellier que beaucoup de matchs de Liga ou d’autres championnats.

Moi j’aime beaucoup la Bundesliga, qui est sous-cotée selon moi. Il y a du spectacle, c’est très attrayant, le football se veut offensif. On n’en parle pas assez à mon goût également.

 

Ce parcours t’a fait rencontrer beaucoup de joueurs, agents, entraîneurs. On t’a annoncé à des postes de directeur sportif ces derniers mois, c’est un rôle qui te plairait ?

C’est mon souhait. J’aimerais retrouver un club, en tant que directeur sportif ou dans l’équipe en charge du recrutement. Pour l’instant, je n’ai pas eu de proposition qui m’intéressait. Je continue mes activités avec plaisir, ça me permet de prendre de l’expérience, de regarder beaucoup de matchs et de découvrir des joueurs.

 

Quelle serait ta philosophie en matière de recrutement ? 

Pour moi, il faut utiliser un peu de tout (data et observation ndlr). La data peut permettre d’aller plus loin dans certains dossiers. Après, je pense qu’il n’y a rien qui remplace le fait de voir les matchs à la TV, et surtout au stade. Tu vas voir tous les comportements au stade. L’échauffement est très important pour moi quand tu vas voir des jeunes par exemple. Tu peux voir la place qu’a un joueur dans le groupe, qui parle avant le match, comment il se comporte, à quel point il est sérieux. L’entourage aussi est important, il y a pas mal de choses qu’on ne voit pas à la TV.

 

Quelle est l’importance du « hors football », de l’entourage ?

C’est une question de relationnel, de réseau. Il faut tisser ses liens avec toutes les personnes qui composent le club. Quand tu connais du monde, on te remonte des informations qu’on n’a pas forcément avec la data.

 

Faut-il absolument avoir un passé de footballeur pour être un bon recruteur ?

Non, je connais de très bons recruteurs qui n’ont pas de passé de footballeur pro.

 

Le directeur sportif doit-il se contenter uniquement de la gestion sportive ou doit-il avoir un rôle plus large ? Tu te sentirais de tout gérer ?

Il doit tout gérer. S’il y a un débordement, un écart, il faut tout gérer. Je me sens prêt à gérer ce genre de chose. J’ai été président de club à Evreux pendant 4 ans (de 2009 à 2013 ndlr), j’ai dû gérer beaucoup de choses. J’ai dû gérer les relations extérieures : politique, mairie, les instances (fédé, ligue), les salariés, les recrutements, limoger des gens…

 

C’est de la politique en fait la direction sportive ?

Bien sûr. On atteint de tels niveaux sur le plan marketing et économique… Les clubs ont une grande place dans la vie des villes, sur le plan social également.

 

La stratégie « trading » est-elle inéluctable pour les clubs de Ligue 1 ?

Compliqué à dire. On est dans une période post-Covid avec des droits TV qui ont baissé. Tu es dans l’obligation de vendre pour équilibrer tes comptes. Ce n’est pas une question de trading… Quand Lyon vend Guimarães, c’est qu’ils n’ont pas trop le choix financièrement. Monaco, c’est différent. Ils sont capables d’investir et de bien revendre. C’est leur modèle. L’essentiel des autres clubs n’ont pas la même stratégie, c’est par obligation.

Quand tu regardes les droits TV signés par la Premier League, on est très loin de l’Angleterre. Tu dois trouver des moyens d’avoir des ressources financières : vente de maillots, sponsors, vente de joueurs. En France, on se repose beaucoup sur la vente de joueurs.

 

Cela te plairait de travailler dans un club avec un modèle « trading » comme Monaco ou Bordeaux ?

Cela dépend du club et de ses moyens financiers. Si tu n’as pas la pression financière de revendre et que tu peux garder les joueurs un peu plus longtemps, c’est intéressant. Si tu es un club de « deuxième ou troisième zone », tu sais qu’à un moment tu vas devoir faire du trading pour survivre. Tout dépend des investisseurs, de l’argent qu’ils peuvent avoir, de la capacité du stade, du nombre de supporters. Autre exemple, un club qui vend 1 million de maillots et un club qui vend 10 000 maillots, c’est pas pareil, les possibilités financières et objectifs ne sont pas les mêmes.

 

La formation française est reconnue à travers le monde, mais est-elle perfectible ?

Tout à fait. Il y a toujours moyen de progresser. Il y a beaucoup de bons joueurs en France, on a un vivier extraordinaire. Mais beaucoup de joueurs se révèlent plus à l’étranger que chez nous. Contractuellement, c’est un peu compliqué pour certains, notamment dans les grands clubs comme le PSG ou Monaco. On les envoie en Allemagne ou en Angleterre très très jeunes parce que le projet sportif qui leur est proposé n’est pas intéressant pour eux.

 

Quid de la formation des milieux de terrain ?

Tu prends Tchouaméni, c’est du très haut niveau. Tu prends Caqueret et Kamara c’est de très bons joueurs de foot. Tu les as les joueurs (en France ndlr). Le tout, c’est de ne pas former des joueurs qui ont tous le même profil. En région parisienne, ils prennent le même style de joueurs. Des joueurs bons dans le 1 contre 1, capables de récupérer des ballons, de faire la différence balle au pied. Peut-être un peu moins de joueurs « réfléchis », parfois. On devrait essayer de varier un peu les profils de joueurs.

 

On demande aux milieux d’être de plus en plus complets, d’être pluriels…

Aujourd’hui, tu es obligé de défendre, d’attaquer, d’être « box to box ». Si tu veux réussir à haut niveau, tu n’as pas le choix. Avec la concurrence, si tu te contentes d’un seul rôle dans ta formation, tu ne passes pas.

 

On sent que l’Olympique Lyonnais manque de régularité dans ses performances et, ce, depuis plusieurs saisons déjà. Quel est le problème à Lyon ?

Bonne question (rire). J’aime bien Lyon sur le côté académie. Ils travaillent très très bien. Les joueurs qui sortent sont en général de très très haut niveau à des postes différents. Ils ont une faculté à sortir des joueurs offensifs de très haut niveau : Benzema, Lacazette, Fekir, ainsi de suite. Ils commencent à sortir des défensifs : Lukeba, Gusto notamment. Un milieu défensif, avec Caqueret.

Il faut trouver le juste milieu entre des joueurs de l’académie et des joueurs plus confirmés qui restent plus longtemps. Après ce n’est pas évident… Quand ils vendent Guimarães, je ne suis pas sûr que ce soit une volonté de leur part. L’offre est belle, c’est compliqué de refuser puisqu’il faut équilibrer les comptes aussi.

 

Beaucoup de supporters parisiens réclament plus de temps de jeu pour Edouard Michut et Xavi Simons. Quel est ton avis ?

Ils ont commencé à jouer, légèrement… (rire) Simons c’est un peu différent, il peut jouer devant, sur le côté. Mais Michut, c’est un peu comme Caqueret : ce sont des joueurs qui, morphologiquement, ne sont pas très athlétiques mais qui jouent différemment parce qu’ils réfléchissent bien, ils sont très propres techniquement, ils ont une grosse compréhension du football. Mon fils avait joué contre Edouard Michut il y a quelques années, il m’avait surpris. Il était petit, mais il était vraiment très bon dans tout ce qu’il faisait.

Après, ce n’est pas à moi de décider s’il doit jouer, il y a une grosse concurrence. Il doit être dans le projet, il faut qu’il s’accroche, c’est encore un jeune joueur. Il y a encore pas mal de travail à faire. Quand tu es au PSG, c’est compliqué de sortir, il y a beaucoup de gros joueurs devant toi.

 

Neuf et demi, meneur de jeu, milieu relayeur, sentinelle, défenseur central… Tu as joué à de nombreux postes dans ta carrière. Dans lequel t’es-tu le plus régalé ?

Mon poste préféré, c’était meneur de jeu !

 

Il y a encore des joueurs dans ton profil ? Assiste-t-on à la disparition du poste de 10 ?

Non, je n’ai pas l’impression (qu’il y ait encore des joueurs dans son profil ndlr). Les systèmes changent, aujourd’hui tu joues en 4-3-3 avec une seule pointe, en 4-4-2 avec deux vrais attaquants, quand tu joues en 3-5-2 c’est pareil. Les milieux offensifs jouent beaucoup sur les côtés désormais. Ça a vraiment évolué, tu as moins de meneurs de jeu qu’avant. Moi mes joueurs préférés c’était Riquelme et Aimar. De vrais meneurs de jeu. Il y a moins de joueurs d’axe aujourd’hui.

 

L’équipe du kiffe de Mathieu Bodmer

Défenseur droit

Malo Gusto. Je pense qu’il a un bel avenir, à voir s’il évolue plutôt comme piston ou comme défenseur droit. C’est un joueur complet qui a toutes les qualités requises pour évoluer au haut niveau.

 

Défenseur gauche

Nuno Mendes, c’est aussi le profil type des latéraux modernes. Très bon offensivement, capable de répéter les courses à haute intensité, qui va très vite et avec une grosse qualité de centre.

 

Défenseurs centraux

Marquinhos. Il fait partie des meilleurs défenseurs au monde, tout simplement. C’est le défenseur central moderne qui sait tout faire : capable de bien défendre en 1 contre 1, tactiquement bon, très bon dans la relance – jeu court, jeu long -. Et en plus il marque des buts. Il n’a pas beaucoup de défauts.

Pour l’accompagner, je mettrais Botman, pour équilibrer avec un gaucher. Ce que j’aime bien chez lui, c’est sa capacité à défendre en 1 contre 1 sur tout le terrain. Il gagne des duels aériens, gagne des duels quand il décroche. Quand tu dois courir derrière un attaquant qui va vite sur 50m et que t’es capable de résister, c’est que tu évolues à un très haut niveau. Il pourrait se régaler en Angleterre.

 

Milieux

En sentinelle, je mettrais Tchouaméni. Il est bon dans la relance, défensivement il est fort aussi. Avec Botman, Marquinhos et Tchouaméni je peux faire attaquer tout le reste (rire).

Ensuite il y aurait Verratti à gauche, parce que Marco Verratti quoi (rire)… Quand il a le ballon, tu es tranquille. Il a une grosse activité, il récupère des ballons. Sur les sorties de balle, il stabilise l’équipe, sous pression ou pas.

A droite, je mettrais Tanguy Ndombele. J’ai joué avec lui également (à Amiens ndlr). Je connais ses qualités, et c’est du très très haut niveau. Via ses percussions, il est capable de déstabiliser toutes les lignes. A Amiens il m’avait impressionné au bout de 10 minutes d’entraînement. C’est un joueur atypique, un peu nonchalant qui ne plaît pas à tout le monde. Moi ça ne me dérange pas. Il est capable de changer le match sur une action.

 

Meneur de jeu

Savanier, il est capable de faire beaucoup de choses : qualité de frappe pied droit / pied gauche, coups de pied arrêtés, jeu court ou jeu long… Ce que j’aime bien, c’est qu’il tente, il tente toujours. Il peut avoir du déchet, mais quand ça passe, c’est magnifique ! Je préfère les joueurs qui vont de l’avant, que ceux qui prennent 0 risque.

 

Attaquants

Je suis obligé de mettre Mbappé quand même (rire). Surtout avec les passeurs que je viens de te dire, je pense qu’il sera tranquille. Je pense que son meilleur poste, c’est en partant du côté. Quand il est dos au jeu, il sait faire mais sa qualité première, c’est d’être face au jeu et de prendre de la vitesse. Il est inarrêtable.

Il sera accompagné de Ben Yedder, qui est un gros finisseur. Dans une équipe technique comme ça, il va se régaler.

Comme tu peux le voir, il n’y a pas trop de gros gabarits. On dit souvent qu’il faut être costaud pour gagner, pas pour moi…

 

Coacher, ça t’intéresserait ? Tu viens de nous démontrer que tu avais des idées assez précises sur le jeu…

Coacher, ça ne m’intéresse pas pour l’instant. En France, pour passer des diplômes, c’est très long. Je suis plus intéressé par la direction sportive.

 

Paul Avignon